Le livre Ben Laden, la vérité interdite (éditions Denoël), qui sort aujourd'hui en librairie, détaille les réticences du département d'Etat américain à se mettre à dos le régime afghan, les négociations de l'administration Bush et des pétroliers texans avec des représentants des talibans de février à août 2001, et les soutiens financiers à Oussama ben Laden venus d'Arabie Saoudite. Une enquête écrite dans l'urgence dont les deux auteurs gravitent dans les milieux du renseignement. Jean-Charles Brisard, 33 ans, spécialiste privé du renseignement économique qui a travaillé chez Vivendi, a élaboré en 1997 un «Rapport sur l'environnement économique d'Oussama ben Laden» pour la Direction de la surveillance du territoire (DST) française. Son coauteur, Guillaume Dasquié, 35 ans est le rédacteur en chef de la lettre spécialisée Intelligence Online. Pourquoi l'administration Bush avait-elle décidé de négocier avec les talibans? Guillaume Dasquié. Pour les grands pétroliers américains proches de Bush, (arrivé au pouvoir le 25 janvier 2001), il était impératif de négocier avec les talibans pour des raisons de sécurité énergétique en Asie centrale. Le Kazakhstan, aujourd'hui, c'est le «new Koweït», quasiment une annexe du Texas. Mais les pipelines sont contrôlés par les Russes. La seule solution pour les Américains qui ont un projet de pipeline, c'est de passer par l'Afghanistan. En février 2001, les talibans se déclarent prêts à négocier avec les Etats-Unis et à étudier l'extradition de Ben Laden, en échange d'une reconnaissance internationale. Bush reprend alors les discussions commencées sous Clinton, puis rompues. Des rencontres sont organisées à Washington par Laïla Helms, sorte de Mata Hari entre Kaboul et Washington, et nièce de Richard Helms, ancien directeur de la CIA. En avril 2001, ces négociations montent en puissance. Il y a des réunions discrètes à Berlin sous l'autorité du représentant du secrétaire général de l'ONU, Francesc Vendrell, parfois en présence directe des talibans, et de l'Alliance du Nord aussi. Le but est de créer avec les talibans et d'autres entités un Etat afghan plus acceptable sur le plan international, et d'obtenir l'extradition de Ben Laden. Au département d'Etat, ces pourparlers sont menés par la directrice du bureau des affaires asiatiques, Christina Rocca, ex-responsable des relations avec les guérillas islamistes à la CIA, qui a rencontré l'ambassadeur des talibans à Islamabad le 2 août 2001. Jusqu'au dernier moment, les Etats-Unis négocient avec les talibans, et veulent les maintenir au pouvoir, en leur demandant de lâcher Ben Laden, sans réaliser que celui-ci est devenu l'un des maîtres de l'Afghanistan, celui qui a vraiment fait le pouvoir du mollah Omar. Le département d'Etat et le Conseil de sécurité de l'ONU sont tous deux irresponsables. Le premier parce qu'il fait l'impasse sur le réel pouvoir de Ben Laden. L'ONU parce que son représentant Francesc Vendrell négocie avec le roi d'Afghanistan en exil, Zaher Shah, à Rome, dès le 16 mai 2001, en lui proposant de prendre le pouvoir à Kaboul, ce qui revient à évincer les talibans. On leur donne toutes les bonnes raisons de se radicaliser et de cesser toutes négociations. L'histoire de l'attentat, c'est l'histoire de ces relations-là entre février 2001 et le 11 septembre 2001. Pensez-vous vraiment que les attentats soient la conséquence de l'échec de ces négociations? G. D. Oui. Je le pense. Il y a eu une grosse faute diplomatique de l'administration Bush. Une option militaire contre l'Afghanistan a même été envisagée de façon sérieuse, avant les attentats, et formulée par le Conseil national de sécurité. Au cours d'une réunion en juin 2001 entre sa directrice, Condoleezza Rice, qui a siégé pendant neuf ans au conseil d'administration du pétrolier Chevron, et le représentant de l'ONU Francesc Vendrell, pour discuter du sort de l'Afghanistan, la logique de sécurité énergétique a glissé vers une logique militaire. A partir de là, l'administration républicaine décide de mettre en place une alternative «vous aurez un tapis en or ou un tapis de bombes», menace qui a été rapportée aux Pakistanais. Pourquoi O'Neill, numéro deux du FBI à New York et ex-coordinateur de la lutte antiterroriste, chargé des enquêtes sur Al-Qaeda, claque-t-il la porte du FBI cet été? Jean-Claude Brisard. John O'Neill, que j'ai rencontré, m'a révélé que l'obstacle principal aux enquêtes américaines sur ces réseaux, c'est précisément l'Arabie Saoudite et le pétrole. On retrouve dans les organisations caritatives qui financent Oussama ben Laden des membres de la famille royale. Les quatre ou cinq familles saoudiennes qui le soutiennent représentent 15 % du PIB. Ce que Ben Laden a pu recevoir sur dix ans à la fois des Saoudiens et de sa propre famille par le biais d'organisations caritatives représente entre 50 et 100 millions de dollars. Au moins six membres de sa famille ont aidé ses réseaux. Le principal financier d'Al-Qaeda, Khalid ben Mafouz, est le premier banquier d'Arabie Saoudite et de surcroît le beau-frère de Ben Laden. Selon John O'Neill, le département d'Etat a préféré préserver ses intérêts, et la direction du FBI a bloqué ses enquêtes. Notamment sur l'attentat au Yémen contre le destroyer USS Cole (dix-sept morts) le 17 octobre 2000. Face à une administration insensible à ses arguments sur le rôle majeur de l'Arabie Saoudite dans l'expansion des réseaux de Ben Laden, John O'Neill, dépité, démissionne du FBI en août 2001. Il devient directeur de la sécurité du World Trade Center. Le 11 septembre, il se trouve dans la tour, parmi les victimes. Avant d'être l'ennemi public numéro 1 des Américains, Ben Laden a été selon vous celui des Libyens. G. D. et J. -C. B. Le premier mandat d'arrêt international contre Ben Laden a été lancé, non pas par les Américains, mais par la justice libyenne pour meurtre et détention illégale d'armes à feu le 16 mars 1998, et validé un mois plus tard par Interpol. Ben Laden y avait tué avec ses hommes, le 10 mars 1994, un officier de renseignements allemand et safemme. Au moment où Tripoli le recherche officiellement, Ben Laden vient pourtant de lancer sa fatwa contre les Américains qui disposent déjà de sérieux indices contre lui dans les attentats ayant visé, en 1996, leurs installations en Arabie Saoudite. Depuis son arrivée au Soudan en 1991, Ben Laden cherchait un sanctuaire où s'installer et il avait jeté son dévolu sur la Libye de Kadhafi, un Etat arabe, sunnite et, de plus, au ban des nations. Epaulé par ses «Afghans-Libyens» du groupe Al-Muqatila, Ben Laden essayait de déstabiliser Tripoli et de favoriser l'émergence d'un pouvoir islamiste. |